C’est l’histoire d’une enfant qui n’en est plus une,
d’un accident de voiture
et d’un dinosaure amoureux d’une princesse.

Mon dieu, elle n’a rien vu venir,  rien du tout. Tout s’est passé si vite, tellement vite.
Elle reste là, tétanisée, le coeur battant à tout rompre, les mains moites; incapable de faire le moindre geste.
Elle n’y voit plus rien à travers ses larmes.
Elle entend déjà la sirène des pompiers retentir dans un écho lointain.
Derrière elle, des voix murmurent: “Pauvre gosse…”

Six heures trente

D’habitude, à cette heure-ci, Diane dort encore. Elle dort même si profondément qu’elle n’entend pas la sonnerie du réveil; réveil qu’elle envoie valdinguer à l’autre bout de la chambre sans même s’en apercevoir avant de s’enfoncer à nouveau sous sa couette en grognant.

D’habitude, c’est toujours Iris qui prend finalement un malin plaisir à l’extirper hors de son lit en tirant brusquement sur sa couverture avant de dévaler les escaliers à toute allure pour que Diane ne la rattrape pas… ce qui ne risque pas d’arriver: avant neuf heures, la jeune fille ne fonctionne qu’au ralenti et se déplace à tâtons, les yeux encore à moitié fermés.  Courir après sa petite soeur n’est donc pas une priorité !
D’habitude, la jeune fille met tellement de temps à se préparer qu’elle finit par mettre tout le monde en retard. Elle ne compte même plus les fois où elle s’est rendormie et celles où elle a confondu sa crème pour le visage avec son dentifrice.
D’habitude, c’est Florence qui réussit à la faire sortir de la salle de bain en tambourinant à la porte pendant que Mathilde, encore en peignoir, essaye en vain de persuader Iris de l’utilité d’aller à l’école et que Laurent s’acharne sur son noeud de cravate en s’exclamant qu’il n’a jamais vu une famille aussi désorganisée que la leur.
D’habitude, un fois dans la cuisine, Diane avale son jus d’orange en quatrième vitesse en leur répétant, un petit sourire aux lèvres, qu’il s’agit là d’un fait scientifique, et que les adolescents ont besoin de beaucoup plus de sommeil que les adultes.
Mais ça, c’est d’habitude.
Ce matin, c’est différent.
Ce matin, Diane donnerait tout pour que sa petite sœur la réveille en sursaut, que son père s’emmêle les pinceaux avec son nœud de cravate et que sa mère râle en l’obligeant à boire un verre de jus de fruit avant de partir au collège. Aujourd’hui, seule la grande horloge murale et son tic tac régulier la ramène à une normalité qui lui est devenue insupportable.
La jeune fille est assise en tailleur dans la chambre de ses parents, accolée contre le grand lit qui n’est même pas défait. Les mains tremblantes, elle fouille dans la table de nuit de Mathilde en jetant des regards furtifs vers la porte entrouverte. Un livre de Françoise Dolto, un vieux Marie-Claire tout corné, le dernier Harlan Coben en format poche, un dessin de Lucie rempli de petits cœurs roses, une photo de l’été dernier.
Rien dans le premier tiroir. Elle est pourtant certaine qu’elle n’est pas loin.
Un grincement se fait entendre dans les escaliers. Le cœur battant, Diane bondit sur ses pieds. Dans sa tête, elle invente déjà toutes sortes d’excuses qui justifieraient sa présence ici. Alors que son cerveau fonctionne à toute allure, quelque chose frôle ses mollets la faisant sursauter et …
-  Idiot, tu m’as fait peur, murmure t-elle en le repoussant gentiment.
Le chat passe entre les jambes de Diane en ronronnant et grimpe avec agilité sur la table de nuit d’où il la fixe de ses yeux jaunes étonnés.
-  Arrête, Pépite, tu me stresses ! s’exclame t-elle en ouvrant le deuxième tiroir d’un geste vif.
C’est là qu’elle la trouve. Négligemment posée au dessus d’une pile d’autres papiers, la lettre de Florence semble anodine, presque oubliée. Sans réfléchir, Diane l’attrape, la glisse dans sa poche, referme le tiroir avec précaution et sort de la chambre sur la pointe des pieds. Elle ne pensait pas que ce serait si facile ! La main serrée contre la poche de son jean, elle court s’enfermer dans la salle de bain où elle déplie la lettre avec précipitation, persuadée d’y trouver le début d’une réponse.

” Mathilde,

 


La première fois que je t’ai vu, nous n’avions même pas dix ans; je venais tout juste de débarquer dans cette petite école où tu avais grandis et, à la minute même où je suis entrée dans la salle de classe ce matin-là, tu m’as souris…


Moi,  j’ai tout de suite su que je ferai de toi ma moitié, mon amie de cœur, ma Mathilde. J’étais peut-être nouvelle mais il m’a suffit de quelques jours pour m’apercevoir que tout le monde n’avait d’yeux que pour toi. Tu étais jolie comme un cœur avec tes petites nattes brunes un peu défaites, ton regard pétillant et ton sourire espiègle.

Tu étais de celles que les garçons s’arrachent et que les filles jalousent. Evidemment, à nous deux, on a vite formé un sacré petit couple : Mathy et Flo, la blonde et la brune ou les « inséparables insupportables », tu te souviens ?
Je nous revois encore le jour de notre première boum avec nos créoles en toc et notre gloss à paillettes en train de nous dandiner sur «  Oh chéri, chéri » dans la cave de David Benetti. Je t’en avais terriblement voulu cette fois là parce que tu étais sortie avec lui alors que, moi, je n’avais encore jamais embrassé personne. Du coup, j’avais roulé un sacré patin à un petit brun à lunettes pour me venger ! Qu’est-ce qu’on a pu en rire de cette histoire, mémorable…

 


Et ces étés passés  à la villa de tes parents, à Saint-Tropez, et les vacances au ski entassés dans un studio de vingt mètres carrés, et les fugues du samedi soir pour aller en boîte,  tu t’en souviens aussi, dis?
Puis il y a eu ces vacances en Floride, été indien où nous sommes toutes les deux tombées amoureuses comme des héroïnes de feuilletons à l’eau de rose. Toi, main dans la main avec Laurent et moi, prête à suivre Raphaël au bout du monde…


Et cette promesse à la naissance de Diane. Tu t’en rappelles, de notre promesse ? Ne jamais se quitter et acheter cette maison dont on rêvait déjà toute petites. Une villa en Provence aux allures de colonies de vacances, une villa inondée de soleil aux portes  toujours grandes ouvertes… jusqu’à ce que Raphaël parte, brisant notre si jolie promesse.


Toi, tu m’as réconfortée, tu m’as épaulée du bout de tes mots, tu as partagé mon chagrin et tu m’as comprise comme personne ne l’avait encore fait. Même si tu estimais ne pas en faire assez, ne pas savoir quoi dire, tu as essayé avec toute ta spontanéité, ta gentillesse, ta patience. Dans mon fameux brouillard épais, tu étais une véritable bouffée d’oxygène.


Les années m’ont prouvé qu’en entrant dans cette salle de classe ce jour-là, je ne m’étais pas trompée; j’ai fait de toi ma moitié, mon amie de cœur, ma Mathilde. Depuis, je t’ai appris par cœur. Je sais tes goûts, tes faiblesses, tes secrets… et tes rêves, je les partage ! Te connaître est sans doute une des choses dont je suis le plus fière et je sais qu’il n’existe pas de plus belle amitié que la notre.


Pourtant, je m’aperçois que je n’aurai jamais du te demander tout ça. Lorsque Raphaël est parti ce matin là, j’aurai du faire de même. Cohabiter à quatre est une chose. Rester seule au milieu d’un couple en est une autre. Je me rends compte que je suis devenue un poids, aujourd’hui plus que jamais.


Oh, je sais bien ce que tu vas dire, je sais bien que tu penses que j’ai tort de penser cela. Peut-être ? Néanmoins, je crois que notre amitié mérite mon honnêteté et, sincèrement, il me semble qu’il est grand temps que nous allions de l’avant toi et moi, et cela même si cela doit nous éloigner. Maintenant que je vais mieux, il faut vraiment que j’apprenne à m’apprécier pour ce que je suis réellement et que j’arrête de toujours me raccrocher à toi, à vous. Il faut que je prenne confiance en moi pour réussir enfin à reprendre pied. Je ne veux plus marcher dans ton ombre, je ne veux plus te voler ton bonheur pour me sentir vivante.


En partant, j’espère aussi te permettre de retrouver tes repères, ton équilibre, ton histoire … Laurent t’aime plus que tout, votre amour fait rêver et c’est bien trop rare pour que vous vous laissiez bouffer par le temps qui passe. Ne vous gâchez pas, ce serait trop triste.


J’aurai encore des millions de choses à t’écrire afin de me justifier mais cela ne changerai pas grand chose car ma décision est prise.

Je fuis, je m’envole, je me tire, je prends mes clics et mes clacs. Je pars, et c’est un nouveau départ qui s’offre à nous et je suis certaine que tu sauras me comprendre, une fois encore…

Florence ”

La jeune fille reste un instant silencieuse, les bras croisés sur la poitrine, le dos appuyée contre le lavabo. Jetant un regard en biais à son reflet dans le miroir, elle ne peut s’empêcher d’afficher une moue boudeuse : des boucles blondes échappées de sa queue de cheval lui tombent négligemment devant les yeux et ses paupières sont rouges et gonflées. D’un revers de manche, elle essuie les larmes qui ruissèlent sur ses joues, ouvre le robinet et s’asperge le visage avec vigueur. Ses pleurs se mêlent à l’eau glacée.

Diane craque parce que tout son univers est en train de s’écrouler, elle pleure parce qu’elle voudrait redevenir une petite fille, une toute petite fille en chaussons roses qu’on protège des trop gros chagrins. Diane pleure parce qu’elle ne comprend plus rien ; elle ne comprend pas pourquoi son père n’est pas là, pourquoi il n’est pas rentré de la nuit. Elle ne comprend pas pourquoi sa marraine est partie, elle ne comprend pas pourquoi personne ne réagit. Pourquoi les adultes sont-ils toujours trop fiers pour demander pardon ? Pourquoi se résignent-ils à souffrir ? Elle, elle veut tout changer. Le monde, les gens, ses parents… et puis aussi cette lettre dont les sentiments mielleux ont un mauvais goût d’abandon.
A presque quinze ans, Diane se sent différente des autres filles de son âge. Alors que ses copines croient encore au Prince Charmant, elle pense que toutes les histoires d’amour finissent mal. Depuis qu’elle a appris que Laurent n’était pas son père biologique, elle se renferme chaque jour un peu plus sur elle-même. Adolescente joyeuse et extravertie il y a encore quelques mois, elle a choisit de se murer dans un silence protecteur pour mieux camoufler son mal-être. Après en avoir voulu à sa mère, à son père, à ses sœurs et à tous ceux qu’elle croisait, elle s’en veut à elle-même. Parce que, du haut de ses quatorze ans, elle est persuadée d’être la cause de la crise qui déchire ses parents. Angoissée et meurtrie, elle  porte sur les épaules une responsabilité bien trop lourde à assumer.

Diane pleure parce qu’elle n’en peut plus et que le départ de Florence vient encore tout chambouler. Roulée en boule sur le carrelage froid de la salle de bain, elle sanglote comme une gamine qu’elle n’est presque plus. Flo, sa marraine, sa confidente, son refuge, vient de tous les laisser tomber et, au lieu de la retenir, sa mère range proprement leur amitié  au fond d’un tiroir.
Des éclats de voix la tire brusquement de la torpeur dans laquelle elle est plongée depuis de nombreuses minutes. Au rez-de-chaussée, elle croit entendre son père. Bien qu’elle ait guetté son retour toute la nuit, elle ne l’a pas entendu arriver. Elle jette un coup d’œil rapide à l’horloge de la salle de bain: sept heures du matin, il était temps ! Presque malgré elle, elle se glisse hors de la pièce, s’engage dans l’escalier, s’assoit, dans l’ombre, et prête l’oreille.

-  Te parler Laurent ? Mais comment voudrais tu que je te parle alors que je n’arrive même plus à te regarder ! Tu me dégoûtes !
-  Je sais, Mathilde, je sais. Tu me l’as déjà dit, je …
-  Et bien je te le dis encore ! Tu me dégoûtes, tu me dégoûtes, tu me dégoûtes ! Je ne parle même pas de déception, ni de mépris. Simplement de dégoût.

Diane serre ses genoux dans ses bras et se ramasse en boule pour essayer de moins souffrir. Un goût de larmes emplit sa bouche. A vrai dire, elle aimerait mieux ne plus rien entendre, ne plus rien savoir. Elle n’en veut plus de la vérité: la vérité, ça fait trop mal. Seulement, c’est trop tard. Prise par les paroles de ses parents, elle est incapable d’esquisser le moindre geste.

-  Ecoute moi, s’il te plait, Mathilde…

Diane descend quelques marches pour essayer d’apercevoir ses parents .Tout en parlant, Laurent s’approche de sa femme et lui prend la main. Elle le repousse avec violence et ne lui laisse même pas le temps de dire quoi que ce soit. Elle explose :

-  Ne me touche pas ! Ne me touche pas !
-  D’accord, d’accord, dit-il doucement en faisant un pas en arrière.
- Je ne pense pas que tu ne m’ais bien comprise, il n’y a plus de solution, c’est clair ?  Plus de solution, pas une, pas l’ombre d’une. La Mathilde qui comprend, la Mathilde qui pardonne, qui arrange tout, qui se sacrifie, c’est fini ! Fini, Fini ! Elle se barre cette Mathilde là, elle prend ses clics et ses clacs, tu entends ? Elle te quitte, elle se barre ta Mathilde adorée.
- Arrête. Tu ne sais plus ce que tu dis.
- Mais au contraire, Laurent, bien au contraire ! Je n’ai jamais autant mesuré le poids de mes paroles qu’en ce moment. Je vais partir, partir loin de toi et de tes reproches et de ton lit et de ta saloperie de trahison … J’en ai plus que marre de m’écraser, d’essayer de recoller les morceaux. Tu as couché avec Florence ? Parfait ! T’as qu’as l’épouser ou même lui faire un môme tant que tu y es. Fais ta vie, je n’en ai plus rien à foutre, rien !

Diane remonte précipitamment l’escalier, en se tenant à la rampe. Au loin, elle entend sa mère éclater en sanglot. Sans même prendre la peine de ne pas faire de bruit, elle court vers sa chambre où elle se jette sur le lit. Couchée sur le ventre, elle enfonce son visage dans son oreiller pour ne plus rien entendre.
- Taisez vous, par pitié, taisez vous, murmure t-elle.
Des portes s’ouvrent, claquent, se referment. Les éclats de voix se font plus lointains. Elle se laisse envelopper par la fatigue qui l’entraîne; tout ira mieux, demain, tout va s’arranger, se répète t-elle encore avant de fermer les yeux.

__________
Neuf heures quinze

A travers la vitre du rétroviseur, elle regarde ses enfants avec tendresse. Elle adore les observer à la dérobée lorsqu’ils ne s’en aperçoivent pas, lorsqu’ils sont simplement eux même. Installée à l’arrière à côté du siège bébé où son petit frère est assis, Morgane lui raconte une sombre histoire de dinosaure fou amoureux d’une princesse empoisonnée par une méchante sorcière. Hugo, mastiquant bruyamment  sa tétine, écoute sa sœur avec attention, ses petites mains potelées sagement posées sur ses genoux.
Plus elle le regarde, plus Florence trouve qu’il ressemble à son père. Le même regard, le même sourire, les mêmes yeux sombres. Difficile d’aimer par dessus tout un petit bonhomme qui ressemble comme deux gouttes d’eaux à un homme qu’on méprise…
Entraînée par les péripéties de son histoire, Morgane imite plusieurs voix à la fois, grimace et gesticule sur la banquette, appréciant les effets de son discours dans les yeux d’Hugo.
Finalement, se retrouver seule avec ses enfants n’est peut-être pas aussi négatif qu’elle l’imaginait. Elle a besoin de calme, elle aussi. Et puis, après tout, puisque Laurent a décidé de ne rien dire à Mathilde à propos de l’autre nuit, elle n’a pas à s’inquiéter. Un coup de klaxonne ramène brusquement Florence à la réalité et, s’apercevant que le feu est passé au vert, elle démarre rapidement, lançant un petit signe d’excuse au conducteur de la voiture voisine.

__________

Onze heures cinquante cinq

Il est près de midi et toutes les dernières années du collège sont en brevet blanc. La tête appuyée sur la main, Diane sent ses yeux se fermer malgré elle.
-  N’oubliez pas de déposer vos devoirs sur mon bureau avant de sortir, et je vous préviens: toute copie sans nom reviendra à un zéro !
La voix rauque de son professeur d’anglais sort Diane de la torpeur dans laquelle elle flotte depuis plusieurs minutes. L’adolescente baisse alors les yeux sur son travail et constate  qu’elle n’a même pas rempli la moitié du questionnaire de grammaire. Elle tente de gagner quelques minutes afin de compléter son devoir mais Monsieur Stevens ne tarde pas à la ramener à l’ordre.
-  Mademoiselle Hardeketing, il me semble avoir dit que l’heure était terminée, dit-il en fronçant les sourcils.
La jeune fille se lève dans un soupir, range ses affaires dans son sac à dos et pose son devoir sur le bureau de son professeur sous le regard inquiet de celui-ci.
-  Diane, est-ce que tout va bien ?
-  Pourquoi ? demande t-elle avec méfiance en sentant déjà ses joues s’empourprer.
-  Je ne sais pas, je suis un peu surpris par ton travail ces dernières semaines. Ce n’est pas ton style de rendre un devoir bâclé.
-  Ce n’est pas parce que j’ai de moins bonnes notes en ce moment que je vais mal, ça peut arriver à tout le monde, répond t-elle dans un haussement d’épaules.
-  Bien sûr, Diane, bien sûr. Seulement, j’ai cru comprendre que ce n’était pas très facile à la maison ces temps-ci et je voulais simplement que tu saches que je peux t’écouter si tu en ressens le besoin, d’accord ?
La jeune fille baisse les yeux et glisse nerveusement ses cheveux derrière les oreilles.
-  Est-ce que je peux y aller maintenant, s’il vous plait ?
Le professeur acquiesce d’un signe de la tête et la suit du regard jusqu’à ce qu’elle ait quitté la salle de classe. Une fois dans le couloir, elle cherche Claire des yeux. Elle trouve son amie assise par terre, le dos appuyée contre le chauffage, s’appliquant à faire des bulles avec son chewing-gum. Diane se laisse tomber à côté d’elle:
-  T’as pas fini de mastiquer !
-  Je mastique pas, réplique Claire dans un sourire malicieux, je bulle !

Diane hausse vaguement les épaules. Son amie lui donne un petit coup de coude.
-  T’en as mis du temps, fayotte ! Il te retenait en otage le père Stevens  ?
-  Ne dis pas n’importe quoi.
-  Ben quoi ? Tout le monde sait qu’il a toujours eu un faible pour toi ce vieux pervers anglophile, dit-elle malicieusement.
La jeune fille secoue la tête en silence.
-  Arrête !
-  Oh la la, mademoiselle a perdu tout son sens de l’humour aujourd’hui à ce que je vois, soupire Claire en se relevant.
Après avoir réajusté sa jupe en jean, elle lâche ses longs cheveux bruns et tire Diane par la main afin que celle-ci se relève  à son tour.
-  Allez, debout grincheuse, c’est pas tout mais je crève la dalle moi !
Alors que les deux adolescentes traversent la cour pour se rendre à la cantine, Claire observe sa meilleure amie à la dérobée. Ce petit air renfrogné ne lui ressemble pas. Et ce mutisme encore moins. Désireuse de briser un silence qui la met mal à l’aise, elle se creuse la tête à la recherche d’un sujet de conversation susceptible d’intéresser Diane.
-  Tu ne devineras jamais ! s’exclame t-elle soudain, les yeux brillants.
Elles se sont assises l’une en face de l’autre autour d’une petite table ronde, près de la fenêtre. Claire dévore le contenu de son assiette, Diane chipote et décortique son poisson avec un air dégôuté.
-  Quoi ?
-  Devine qui a roulé la pelle du siècle à Lola Durand hier soir derrière l’internat ?
-  Sais pas.
- Tiens-toi bien: O-l-i-v-i-e-r !
-  Qui c’est Olivier ?
-  Mais tu sais bien ! Olivier, le grand brun super bien foutu qui fait du basket avec Will et qui a un super …
-  Je ne vois pas de qui tu parles, la coupe Diane d’un ton tranchant.
-  Mais  qu’est-ce que tu as aujourd’hui, tu as l’air très…  Oh, tiens, salut Romain !
Diane lève la tête et aperçoit un ami de Claire se diriger vers elles d’une démarche assurée. Presque malgré elle, la jeune fille baisse les yeux.
-  Salut les beautés ! Dis moi, je peux savoir ce que tu as fait de ton frangin ? demande t-il à Claire en s’asseyant à côté d’elle, un grand sourire illuminant son visage.
-  Willy est malade, répond celle-ci, c’est une petite nature.
Romain attrape lui prend la main en affichant une moue comique :
-  Tu sais que tu peux tout me dire, c’est toi qui l’a tué, avoue !
Claire rit de bon cœur et rejette ses cheveux bruns en arrière sans dégager sa main de la sienne.
-  Je ne ferai jamais ça: si je le tue, je n’aurai plus le plaisir de te voir à la maison !
-  Ça, c’est ce que tu crois, lui dit-il doucement en plongeant ses yeux noisette dans les siens.
Diane remarque que son amie rougit et est agacée par son comportement. Elle la déteste quand elle fait des manières pour plaire aux garçons. Elle la trouve stupide et l’envie tout en même temps. Mal à l’aise, elle se lève, attrape son sac à dos, repousse sa chaise et tourne les talons.
-  Tu vas où ? s’étonne Claire en la voyant s’éloigner, on ne reprend les cours que dans une heure !
-  On a une interro de sciences à préparer alors reste là à minauder si tu veux, mais moi je vais travailler un peu.
-  Calme-toi, c’est pour jeudi, on a le temps…
Diane laisse échapper un soupir et continue son chemin, se hâtant en direction de la bibliothèque. Claire la regarde pendant quelques instants, puis attrape son sac à son tour, s’excuse auprès de Romain, et la rejoint en courant.
-  Mais attends, on a même pas terminé de déjeuner !
-  Je n’ai pas faim.
-  Je peux savoir ce qui t’arrive en ce moment ? demande-t-elle en arrivant à sa hauteur, Romain est le plus craquant de tous les garçons de l’école et tu t’es conduite comme une vraie petite peste ! Et puis, il n’y a pas que ça, tu…
-  Claire, je n’ai pas dormi de la nuit et je suis épuisée, alors fiche moi la paix, tu veux ?
Laissant son amie interdite, Diane presse encore le pas, monte en courant les escaliers menant à la bibliothèque et entre dans la salle laissant la porte  claquer derrière elle.

Dix huit-heures

Cet après midi là, en entendant la sonnerie retentir, Diane pousse un profond soupir de soulagement. La tête à l’envers et le cœur en bandoulière, elle se hâte de ranger ses affaires dans son sac à dos avant de quitter la salle de classe avec empressement, sans même dire au revoir à quiconque. Perdue dans ses pensées, la jeune fille ne remarque pas que Claire la suit du regard avec inquiétude. Diane traverse la cour aussi rapidement que possible espérant bien ne croiser personne lorsqu’elle sent une main se poser sur son épaule.
- Tu vas le rater tu crois ?
Elle se retourne, à la fois surprise et agacée. Derrière elle, Romain lui sourit.
-  Raté quoi ? demande t-elle sans comprendre.
-  Ben ton train !
-  Quoi ?
-  Laisse tomber, c’était de l’humour. T’as l’air à côté de tes pompes toi ces jours-ci !
-  Ça ne te regarde pas, dit- elle entre ses dents, impatiente de couper court à la conversation, laisse moi tranquille !
-  Oh là, t’emballe pas ! Je voulais simplement m’intéresser à toi, je ne pensais pas que tu le prendrais aussi mal, dit-il en tournant les talons, visiblement blessé.
Un peu honteuse, Diane soupire et le rappelle.
-  Romain, ça va, attends…
Il est décidément très doué, se dit-elle, voilà que c’est elle qui lui court après maintenant ! Pas étonnant qu’il ait autant de succès avec les filles celui-là.  Arrivé à sa hauteur, elle pose à son tour une main sur son épaule pour l’obliger à s’arrêter.
-  Je suis désolée, je ne voulais pas être aussi agressive… C’est juste qu’en ce moment…
Les yeux baissés, la jeune fille sent sa gorge se nouer et ne parvient pas à achever sa phrase. Enroulant machinalement une mèche de cheveux autour de son index, elle reste silencieuse un instant.
-  En ce moment quoi ? demande t-il avec douceur.
-  En ce moment, ça ne va pas très fort à la maison et j’ai du mal à laisser mes problèmes de côtés lorsque je suis au collège, voilà.
Il soupire.
-  Laisse moi deviner, tes parents divorcent, c’est ça ?
Elle acquiesce d’un timide signe de tête. Un demi sourire aux lèvres, il murmure :
-  Ouais, ça arrive ces conneries, je comprends.
Diane, lève les yeux vers lui et esquisse un petit sourire. Ce qu’il vient de lui dire est atrocement banal, atrocement banal…et pourtant, ces quelques mots, aussi futiles soient t-ils, lui font un bien fou. Il n’a pas les yeux emplis de pitié comme son professeur d’anglais et il n’a pas le regard plein d’incompréhension de Claire.
Non, lui il comprend. Sans trop savoir pourquoi, elle a soudainement l’impression que cette confidence les rapproche étrangement.
- Ouais, ça arrive ces conneries, répète t-elle à mi-voix.
-  Les miens aussi, reprend t-il, il y a deux ans. Ça a été une sale période … si tu veux en parler, n’hésites pas.
-  Merci, ça va.
Ils sont un peu gênés maintenant, debout tous les deux au milieu du trottoir. Tout à été dit et aucun d’eux ne sait comment briser le silence. Un peu de vent soulève les cheveux de Diane et elle espère que ses cernes ne se remarquent pas trop.
-  Bon je vais te laisser,  dit-il finalement, je dois aller chercher ma petite sœur à son cours de danse, alors …
-  Ah bon, et comment elle s’appelle ?
-  Euh, Lili … pourquoi ?
-  Moi aussi je  m’intéresse à toi, lance t-elle en tourant les talons.
Très fière de son petit effet, Diane ne cesse de sourire alors qu’elle rejoint la rue où la voiture de son père est stationnée. Cependant, dès qu’elle entre dans le 4×4 et s’installe sur le siège avant, elle se rembrunit et salue son père d’un bonjour à peine audible.

__________
Midi, là-bas …

La matinée touche à sa fin. Raphaël respire l’air marin à pleins poumons. Il laisse les rayons du soleil caresser sa peau. Il a mis ses lunettes de soleil, fait un revers à son jean et marche les pieds dans l’eau, ses chaussures à la main laissant la chaleur du vent l’envahir doucement. Devant lui, l’océan s’étend à perte de vue. Il se sent chez lui, ici, à Philadelphie. Nulle part ailleurs. Ici, rien ne s’arrête jamais, tout est perpétuellement en mouvement. La ville vie, vibre et s’illumine jour et nuit. Ici, il se sent libre… libre, enfin.
Pourtant, bizarrement, il n’irait pas jusqu’à dire qu’il est heureux. Quelque chose manque. Il faut toujours qu’il fuit pour se sentir bien, il faut qu’il s’enivre de cette ville, qu’il bouge à son rythme. Dès qu’il s’arrête, dès qu’il se pose, la liberté s’envole et le manque revient. La culpabilité peut-être ?
Soudain, la sonnerie de son portable le tire de ses réflexions. Il hésite un instant avant de sortir le téléphone de sa poche.
-  Allô ?
-  Alors, mon vieux, on a encore fait des miracles ?
Il sourit.
-  Salut Jack.
- Sérieusement, je vais finir par t’appeler Dieu ! Cette opération était une folie furieuse, la gamine avait autant de chance de s’en sortir que j’en ai de coucher avec Naomi Campbell, tu t’en rends compte de ça ?
-  Ne te sous estime pas, Naomi t’aimerai sûrement beaucoup.
-  C’que tu peux être con ! On fête ça ce soir ?
-  Ce soir, ça va être difficile. Entre le décalage horaire et cette opération, j’ai plus de quarante huit heures de sommeil à rattraper j’te signale.
-  Et demain ?
-  Je ne sais pas si je serai encore là demain.
-  Qu’est-ce que tu veux dire ?
-  Je plaisante, je plaisante… J’apporte la bière ?
-  Quelle question ! See ya !
En raccrochant, il sourit encore. Pour rien au monde il ne quitterait Philadelphie. Il est bien trop fier de tout ce qu’il a réussi à acquérir ici : la notoriété, la reconnaissance, une carrière à faire pâlir et des amis influents. Non, Raphaël ne changerait de vie pour rien au monde… enfin, presque rien.

__________
Dix-huit heures trente ici …

Tout en conduisant, Laurent jette quelques regards à sa fille aînée, inquiet de son silence et de sa mine renfrognée. Sur la banquette arrière, Iris et Lucie mangent leur pain au chocolat en silence.
-  Comment s’est passé ton brevet blanc ce matin ? demande t-il désireux de rétablir un semblant de dialogue avec Diane.
-  J’en sais rien, on verra bien, répond t-elle du bout des lèvres.
Le silence retombe à nouveau, lourd et oppressant. Le reste du trajet se déroule dans une atmosphère des plus tendues et les petites, si bavardes habituellement, se taisent comme pour ne pas troubler la colère de leur grande sœur. Une fois la voiture garée devant la maison, Diane glisse son sac sur son épaule et s’empresse de rejoindre sa chambre dont elle claque la porte avec violence.

__________
Dix-neuf heures

Il pleut des cordes et les essuie-glaces grincent en cadence. Sur le macadam, les piétons se pressent en s’agrippant à leur parapluie. A nouveau dans les embouteillages, ses deux enfants installés à sur la banquette arrière,

Florence est d’une humeur massacrante. Elle a passé sa journée à remplir des feuilles de commandes et à faire des comptes et n’a pas mis le nez dehors. Ce soir, elle est arrivée en retard à l’école et Morgane boude dans son coin. La gamine est montée dans la voiture sans un regard et maintenant, elle est assise toute droite, les yeux rivés sur la route qui défile doucement. La jeune femme soupire. La vie était tout de même plus facile avec les Hardeketing. Laurent, lui, ne serait jamais arrivé en retard à l’école, lui a dit sa petite fille sur un ton plein de reproches.
Tout le problème est là. Laurent, lui. Mathilde, elle.
Ensuite, elle a du emmener Morgane et Hugo chez le pédiatre où elle avait pris un rendez-vous en urgence la veille parce qu’elle pensait que le petit faisait une réaction allergique à son médicament contre la toux. Tout ça pour s’entendre dire qu’Hugo n’était allergique à rien du tout et que les boutons, c’était normal. Vingt-cinq euros pour ça. Merci Docteur ! La vie était quand même plus simple avec Raphaël. Un médecin à domicile. Un papa qui soigne. Voilà ce qu’il lui faudrait à Hugo, voilà ce qu’il lui faudrait et qu’elle ne peut pas lui donner.
-  Putain !
Les mains agrippées sur le volant, Flo double la twingo qui avance au ralenti et se gare en double file devant la boulangerie. Morgane secoue la tête:
-  T’es trop vulgaire maman.
Florence hausse les épaules. Elle a mal à la tête.
Alors qu’elle s’apprête à sortir, Hugo se met à pleurer en tendant ses petits bras potelets vers sa mère:
-  Maaaaaamaaaaan ! Pars pas, mamaaaaan, pars pas !
Morgane se détache à son tour et sort de la voiture:
-  Laisse, j’y vais, dit-elle avec un sérieux presque comique en s’éloignant vers la boulangerie.
Alors que Florence se glisse déjà sur le siège arrière pour calmer son petit garçon qui sanglote dans son siège auto, un violent crissement de pneu la fait sursauter. La jeune femme se retourne vivement et ce qu’elle voit la fait frémir d’effroi. Elle porte ses deux mains à ses lèvres pour étouffer le cri qu’elle ne peut retenir.

__________
Vingt heures

-  Diane, est-ce qu’il y a quelque chose qui s’est mal passée au collège aujourd’hui ? finit par demander Laurent au bout de plus d’un quart d’heure de silence.
-  Pourquoi tu me demandes ça ?
-  Pour rien mais tu as l’air de mauvaise humeur et j’aimerai savoir si …
-  Parce que tu crois vraiment que si je vais mal c’est à cause de l’école, papa ? rétorque t-elle en insistant sur le dernier mot.
-  Diane chérie, si tu as des choses à me dire, je préfère qu’on en parle plutôt que de…
-  Non, je n’ai rien à dire, rien du tout. Et de toute façon, même si c’était le cas, je ne suis pas sûre d’avoir envie de parler, en particulier avec toi. Et puis de toute façon, on est bien les rois des petits secrets dans cette maison, non ?
Avant que Laurent ait le temps de répondre quoi que ce soit, le grincement caractéristique de la porte d’entrée se fait entendre. Deux minutes plus tard, le visage de Mathilde apparaît dans l’embrasure de la porte.
-  Bonsoir tout le monde, dit-elle en entrant dans la pièce.
-  Mamaaaaan !
Iris et Lucie, visiblement ravie qu’une tierce personne vienne interrompre cette conversation houleuse, se jettent dans les bras de leur mère. La jeune femme jette un regard autour d’elle tout en serrant ses petites filles contre elle. Puis, contournant la table, elle s’approche de Diane et passe une main affectueuse dans cheveux. Celle-ci se dégage de l’étreinte de sa mère plongeant le nez dans son assiette.
-  Merci d’avoir préparé à dîner, dit Mathilde, s’asseyant à côté de Laurent, j’ai une faim de loup !
-  Tu rentres tard ce soir, constate son mari pour toute réponse.
-  Une réunion impromptue, explique t-elle en attrapant le plat de pâtes que Lucie lui tend, Christian voulait nous parler d’une sombre histoire de budget pour la rentrée, rien de bien passionnant. Et vous, bonne journée ?
Alors qu’Iris commence à décrire avec moult détails comment elle s’est disputée avec sa copine Sarah parce que cette dernière lui aurait volontairement fait un croche patte devant tous les garçons de la classe, Diane soupire bruyamment sans lâcher des yeux le contenu de son assiette. Mais, lorsque Mathilde parle à Laurent du mariage de sa cousine où ils iront certainement cet été, Diane explose.  Jetant rageusement ses couverts sur la table, la jeune fille se lève de sa chaise pour se précipiter hors de la pièce. Refusant de continuer à tolérer plus longtemps l’attitude de sa fille, Laurent se lève à son tour sous le regard interloqué de Mathilde, et la rattrape par le bras avant qu’elle n’ait le temps d’atteindre les escaliers.
-  Diane !
-  Tu me fais mal, proteste-t-elle en tentant de se dégager.
- Écoute-moi bien, la coupe Laurent d’un ton sévère, sans relâcher son étreinte, j’ignore ce qui ne va pas chez toi aujourd’hui, mais ton attitude est tout simplement inadmissible !
-  Mais fichez-moi la paix à la fin ! J’ai pas le droit d’être de mauvaise humeur ?
-  Tu as le droit, reprend t-il, mais ce n’est pas une raison pour quitter la table en plein milieu du repas parce que tu l’as décidé. Nous sommes une famille et …
Diane se retourne vivement vers lui. Ses yeux lancent des éclairs.
-  Une famille ? Mais quelle famille ? T’es même pas mon père !
Touché. Même s’il savait d’avance qu’elle le lui dirait un jour, cela n’empêche pas Laurent d’être profondément blessé par les mots de sa fille. Dérouté, il  lui lâche le bras la laissant s’enfuir dans les escaliers. Mais, avant qu’elle n’atteigne l’étage supérieur, Mathilde l’interpelle avec fermeté.
-  Diane, reviens ici immédiatement. Je t’interdis de parler à ton père de cette façon.
-  Ce n’est pas mon père, maman ! Et je ne sais même pas comment tu peux continuer à le défendre après ce qu’il t’a fait.
Interdite, Mathilde fait un pas en arrière sans réussir à dissimuler sa surprise.
-  Qu’est-ce que…
-  Pourquoi vous continuez à nous mentir, tous les deux ? Pourquoi vous jouez les petites familles parfaites ? Vous ne pensez pas que vous devriez nous dire la vérité pour une fois, on la mérite, non ?
Sans dire un mot, Mathilde et Laurent échangent un regard où se mêlent étonnement et inquiétude.
-  Vous me dégoûtez tous les deux à faire semblant que tout va bien, à vous conduire comme si de rien était alors que c’est faux ! J’ai tout entendu quand vous vous êtes disputé ce matin, j’étais dans les escaliers. Je sais parfaitement pourquoi Florence est partie et je sais aussi que vous allez divorcer. Alors, soit vous nous expliquez tout maintenant, soit c’est moi qui me charge de dire la vérité à Iris et Lucie !
Mathilde, désarmée face à la violence inhabituelle de sa fille aînée, se tourne vers Laurent pour y trouver un appui. Les petites ont quittées la cuisine alertées par les cris et regardent maintenant leur grande sœur avec stupéfaction.
Après s’être éclairci la gorge, Laurent demande à Diane de redescendre d’une voix étrangement calme. Puis, il fait signe à Iris et Lucie de s’approcher accompagnant son geste d’un sourire rassurant.  Il  se dirige vers la salle de séjour et s’installe sur le canapé, immédiatement suivi par ses filles cadettes. Même Diane finit par s’asseoir face à lui sans broncher. Avec tendresse, il attrape la petite main de Lucie et prend Iris sur ses genoux. Tout d’abord hésitante, Mathilde finit également par s’approcher et regarde son mari avec un mélange d’inquiétude et de reconnaissance, les bras croisés contre sa poitrine.
-  Même si les détails nous appartiennent, dit-il d’un ton ferme à l’attention de sa fille aînée, Diane a raison : maman et moi devons effectivement vous parler de quelque chose de très important à toutes les trois.
Avant de poursuivre, Laurent se tourne vers Mathilde et cherche à lire un signe d’approbation dans son regard. Celle-ci se contente d’un faible hochement de tête afin de le laisser reprendre lorsque la sonnerie du téléphone les interrompt. Elle lui fait signe de laisser sonner mais le répondeur se déclenche. La voix joyeuse de Diane, celle d’un passé déjà trop lointain, s’élève dans la pièce.
“Bonjour à tous ! Vous êtes bien chez Laurent et Mathilde Hardeketing et leurs filles et chez Florence Luciano et ses enfants, nous ne sommes pas là pour le moment, mais vous savez quoi faire après le bip sonore !


-  Mathilde ? Laurent ? Vous êtes là ? Répondez, s’il vous plaît. Si vous êtes là… par pitié… C’est Morgane. Morgane, elle … il y a eu un accident. ”

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Mon dieu, elle n’a rien vu venir,  rien du tout. Tout s’est passé si vite, tellement vite.
Elle reste là, tétanisée, le coeur battant à tout rompre, les mains moites. Incapable de faire le moindre geste.
Elle n’y voit plus rien à travers ses larmes.
Elle entend déjà la sirène des pompiers retentir dans un écho lointain.
Derrière elle, des voix murmurent : “Pauvre gosse ! ”