C’est l’histoire de trois jours pour devenir quelqu’un d’autre,
d’un piano au milieu des cartons
et d’un premier baiser.


Cher journal,

Il y a trois jours encore, j’aurai tout donné pour m’envoler à l’autre bout du monde, moi aussi. Mais maintenant, je sais que je suis exactement là où je dois être. Parfois, il faut juste se montrer un peu patient et se laisser le temps de grandir, de changer. Aujourd’hui, j’ai compris que le bonheur ce n’est pas de vivre une petite vie sans embrouille, sans faire d’erreur ni bouger. Le bonheur, c’est d’accepter la peur, l’effort, le doute et, surtout, d’avancer. D’avancer en franchissant chacun des obstacles qui se dressent sur le chemin.Un par un.
Finalement, l’autre bout de mon monde n’est peut-être pas si loin…

* * * * * * *

Trois jours plus tôt

La guirlande électrique ornant la porte du bar clignotait sans conviction et Mathilde, les yeux mi-clos, sentait ses membres s’engourdir alors que l’alcool qu’elle ingurgitait à petites lampées réchauffait lentement chaque parcelle de son corps. Elle flottait dans une atmosphère cotonneuse et tiède, portée par les conversations à mi-voix qui glissaient autour d’elle dans un joyeux brouhaha.
-  Alors, demanda Laurent avec un entrain un peu forcé en posant quatre nouvelles chopes sur la table, pas trop anxieux ?
Raphaël hocha la tête et bu une nouvelle gorgée de bière avant de répondre, visiblement amusé.
-  Moi, anxieux ?
-  Eh bien oui, tu pars quand même à l’autre bout de la planète dans un peu moins de trois jours, je trouve ça plutôt flippant !
Florence étouffa un petit rire.
-  Tu parles, les plans à la Hemingway, Monsieur adore ça… Partir en solitaire où le vent l’entraîne ne lui a jamais fait pas peur, c’est plutôt rester trop longtemps au même endroit qui le terrorise.
-  Peut-être, suggéra Mathilde en haussant vaguement les épaules, peut-être faudrait-il trouver un équilibre entre lui et Laurent; un mélange explosif d’aventurier et de papa poule…
-  L’homme idéal ! conclut Florence avec enthousiasme.
-  Sauf que je pourrai très bien être un aventurier si je voulais ! s’indigna Laurent.
-  Oh, je t’en prie, rétorqua Mathilde en secouant la tête, tu as peur du Yorkshire de mes parents !
-  C’est absolument faux, je pourrai dresser cette bête en un claquement de doigts si je le décidai !
-  Dans ce cas, reprit la jeune femme en posant sur son ex-mari un regard sceptique, la prochaine fois que nous irons déjeuner chez ma mère, tu accepteras sans doute de le regarder dans les yeux…
-  Par pitié pas ça, se défendit-il en réprimant un frisson, cette bête est la chose la plus effrayante que j’ai jamais rencontrée !
Considérant Laurent avec une tendre ironie, les autres éclatèrent de rire.
-  Mais riez, riez si ça vous chante ! N’empêche que je peux vous prouver que je ne suis pas celui que vous semblez croire…
-  Oh comme c’est tentant, s’exclama Florence en battant des mains, dévoile nous tout Laurent Hardeketing !
-  Je ne tiens pas à rater ça non plus, renchérit Raphaël visiblement amusé, il faut donc absolument que tu nous montres qui tu es vraiment dans les jours à venir ! Présente-nous le Laurent qui ne passe pas son temps à réfléchir aux conséquences et sait agir comme un homme; celui qui n’a pas la trouille de prendre le numéro de téléphone d’une nana qu’il a draguée dans un bar, et de l’appeler ensuite pour passer une nuit de folie entre ses bras…
-  N’en rajoute pas tu veux ! s’exclama Mathilde en le stoppant dans son élan d’un petit coup de coude dans les côtes.
-  Eh, protesta Raphaël, faudrait savoir ! Tu refuses de te remettre avec lui, mais tu ne veux pas non plus qu’il aille voir ailleurs, tu ne pourrais pas simplement être heureuse pour lui ?
-  Tout ce que je peux faire c’est un regard vide et un sourire hypocrite.
-  Vendu !
-  Ça me donne une idée, les interrompit Laurent en faisant tourner son verre vide entre ses mains.
Tous l’interrogèrent du regard. Il laissa quelques s’écouler quelques secondes afin de mieux apprécier l’effet de ses paroles.
-  Je veux bien que vous mettiez en place les règles du jeu, dit-il finalement, mais il n’y a pas de raison pour que je sois le seul participant. Après tout, je ne suis pas le seul à avoir mes petits défauts…
-  Où veux-tu en venir ?
-  Si j’essaye de changer, vous devez en faire autant ! Et toi la première, déclara t-il en se tournant vers Mathilde. Tu vas devoir cesser d’être constamment indécise et nous prouver que tu es capable de prendre des décisions. Et de t’y tenir ! Quant à toi, Raph, tu vas profiter de ces quelques jours qui te restent pour faire face à tes responsabilités. Histoire de ne pas fuir, pour une fois.
-  Et moi, et moi ? ne put s’empêcher de demander Florence, surexcitée.
-  Trouve toi un mec, lança Raphaël dans un sourire doucement moqueur.
Le regard qu’il posa sur elle déstabilisa la jeune femme qui eut l’impression étrange qu’il faisait soudain cinquante degrés. Elle rougit de plaisir, cacha son émotion en buvant une nouvelle gorgée d’alcool, s’étrangla, leurs yeux se croisèrent et tous les quatre ne purent s’empêcher d’éclater de rire.
-  Marché conclu, dit Florence en levant son verre.
-  Marché conclu, répétèrent les autres en trinquant.

* * * * * * *

J – 3

-  J’adore les soldes, s’exclame Florence en glissant la fermeture éclair de la robe le long du dos de Mathilde, cette boutique est fabuleuse !
-  Les prix aussi sont fabuleux, soupire la jeune femme en jetant un regard sceptique à l’étiquette.
-  Tu ne t’es plus fait plaisir depuis des mois !
Poussant son amie vers le miroir le plus proche, Florence pose ses deux mains sur les épaules de Mathilde:
-  Regarde toi, tu es bien trop jolie pour permettre à qui que ce soit d’autre de l’enfiler !
La jeune femme secoue la tête comme pour se débarrasser d’un voile opportun.
-  Je suis ridicule, le trente-huit me sert affreusement et je n’ai absolument pas cent cinquante euros à dépenser dans une robe.
-  Il y a trente pour cent, insiste Florence avec enthousiasme.
-  Quand bien même…
-  Puisque c’est comme ça, s’exclame t-elle avec une jovialité communicative, je te l’offre !
-  Tu es folle, sourit Mathilde en regardant à nouveau l’étiquette de la robe en mousseline, il en est hors de question.
-  Oh, mais tu serais si belle pourtant lors ton premier rendez-vous avec Monsieur l’expert immobilier !
-  Quel rendez-vous ? Il était censé m’appeler il y a des semaines, j’attends toujours !
-  Et pourquoi tu ne l’appellerais pas, toi ?
Déroutée par la question de son amie, Mathilde reste un instant interdite, les paupières un peu plissées et un demi-sourire accrochée au bord des lèvres. Son regard croise alors celui de Florence qui l’observe à la dérobée à travers le miroir; ses joues sont un peu roses et ses boucles blondes, relevées en un chignon tombant, lui donne un air de petite fille. La jeune femme dodeline de la tête un demi-sourire aux lèvres, sa façon à elle de lui demander « Alors ? ».
Il y avait toujours eu dans son comportement une sorte de désinvolture, un charme léger et fluide qui subjuguait Mathilde. Avec Flo, tout était tellement simple que c’en était presque désarmant.
-  Prendre des décisions et s’y tenir, c’est ça ?
Florence acquiesce d’un petit hochement de tête moqueur.
-  Oh et puis c’est vrai qu’elle est belle, reconnaît Mathilde en tournoyant sur elle-même, je crois que je vais la prendre…
-  Et après, tu téléphoneras à Maximilien !
-  Peut-être…
-  Tu l’appelleras, répète Florence avec une douce fermeté, ou bien c’est moi qui le ferai !
-  Toi ?
-  N’oublies pas que je dois me trouver un mec, rappelle la jeune femme en esquissant une petite moue incrédule.
Touchée par son intonation, à la fois implorante et comique, Mathilde pose les deux mains sur ses hanches et pique un baiser sur la joue de son amie.
-  Je ne me fais pas de souci pour toi, assure t-elle les yeux brillants, tu trouveras en moins de temps qu’il ne faut pour le dire !

* * *

-  J’en ai ras le bol, ça sert à rien du tout, s’exclame Diane en jetant violemment son crayon à l’autre bout de la pièce, je suis nulle en maths, y’a rien à faire et puis c’est tout !
Se levant de la chaise sur laquelle elle n’est installée que depuis quelques minutes, la jeune fille se met à faire les cent pas dans sa chambre en arborant une moue faussement désespérée.
-  Si tu te concentrais à peine un peu plus, ça irait tout de suite mieux, lui fait remarquer Will en se tournant vers elle, tu n’y arriveras pas tant que tu penseras à autre chose !
L’adolescente se laisse alors tomber sur son lit, les bras en croix, sans chercher à retenir le profond soupir qui s’échappe de sa poitrine.
Il y a quelques semaines de cela, William et Romain s’étaient amusés à lancer des oeufs sur les voitures qui avaient eu la mauvaise idée de passer sous les fenêtres de ce dernier. Malheureusement pour les jeunes garçons, lorsque Raphaël Forester avait aperçu le jaune d’oeuf dégouliner le long de son pare-brise, son sang n’avait fait qu’un tour et il avait décidé de leur donner une bonne leçon.
Depuis, le frère de Claire passait ses mercredis après-midi à donner bénévolement des cours de maths à Diane. Pour lui qui était déjà en seconde, c’était sans doute facile. La jeune fille, quant à elle, aurait sans doute mieux compris s’il lui avait parlé Chinois, voire Berbère.
-  En plus c’est toujours ridicule ce genre d’exercice, grommelle t-elle avec mauvaise foi, franchement qui a besoin de savoir combien de temps cette foutue piscine pourrait potentiellement mettre pour se remplir en admettant qu’un abrutit notoire laisse couler ce satané tuyau toute une nuit sans interruption ?
Esquissant un sourire, le jeune garçon se lève à son tour et vient s’asseoir sur le rebord du lit.
-  En tout cas, concède t-il avec une pointe d’ironie dans la voix, c’est clair que c’est moins intéressant qu’une soirée au ciné avec ce cher Romain, n’est-ce pas ?
Se redressant brusquement, Diane secoue la tête avec conviction:
-  Oh, ne me parle pas de ça.
-  Pourquoi, tu n’es toujours pas décidée à y aller ?
Elle hausse vaguement les épaules.
-  Tu n’aurais pas la trouille quand même ? insiste Will.
-  Absolument pas, ment-elle avec aplomb, je suis simplement un peu fatiguée ces temps-ci et comme on a un brevet blanc la semaine prochaine, je n’ai pas du tout envie de me coucher à des heures pas possibles, voilà tout.
-  C’est ça, et moi j’ai demandé à Dieu de faire voler les gorilles.
-  Et il t’a répondu ?
William pose sur la jeune fille un regard à la fois sceptique et amusé. Elle suit les motifs bariolés de son édredon du bout des doigts pour se donner une contenance.
-  C’est bien ce que je pensais, décrète t-il en riant, tu as la trouille !
-  Peut-être un peu, avoue Diane en sentant ses joues s’empourprer, mais je ne suis pas tellement douée pour ce genre de choses… Je suis nulle, y’a rien à y faire voilà tout.
-  Hé, rétorque le jeune garçon en lui donnant un petit coup de coude, il ne s’agit pas d’un exercice de maths là, il n’existe pas de réponse toute faite ! Il faut te laisser aller, c’est tout bête.
-  Tu parles, c’est facile à dire pour toi, tu portais encore des couches quand tu as eu ta première conquête ! Moi je te dis que Romain va vite se rendre compte que je n’ai aucune expérience et qu’il va s’empresser de me laisser tomber telle une vieille chaussette. Après, comme il en parlera à ses milliards de copains, tout le collège se moquera de moi et plus personne dans la ville ne posera plus jamais les yeux sur moi ! Du coup, je finirai vieille, aigrie et seule, dévorée par mes bergers allemands.
-  Tu as des berges allemands ? demande t-il avec malice.
-  J’en aurai une dizaine et on m’appellera la « folle aux chiens » !
-  N’importe quoi, s’exclame Will en étouffant un petit rire, je peux t’assurer qu’il ne s’apercevra de rien du tout… Du moins, si tu te prépares un tout petit peu.
-  Comment ? demande t-elle, sceptique.
-  Eh ben c’est simple, tu mets ton doigt dans ta bouche et tu tournes ta langue autour.
-  Dans quel sens ?
-  Ah, j’en sais rien, moi ! Y’a pas de sens !
-  Oh mon Dieu, je suis certaine que si. Will, et si je tournais dans le mauvais sens ?
Alors que le jeune homme éclate de rire, Diane laisse, presque malgré elle, un sourire se dessiner à la commissure de ses lèvres.
-  J’ai une idée, propose t-il entre deux hoquets.
-  Je m’attends au pire.
-  Pourquoi tu ne t’entraînerais pas avec un autre garçon avant d’embrasser Romain pour la première fois ?
-  Qui ?
-  Pour la modique somme de dix euros, je me ferai un plaisir de devenir ton sexy cobaye !
-  Alors là, c’est toi qui raconte n’importe quoi !
-  Très bien, très bien, tant pis pour toi… Tu ne sais pas ce que tu rates !
-  Et j’espère bien ne jamais le savoir, renchérit-elle.
-  Même si, pour cette fois, je consentais à le faire gratuitement ?
-  J’espère que tu plaisantes !
-  Je n’ai jamais été aussi sérieux depuis le jour où j’ai avoué à Claire qu’elle avait été adoptée.
-  Quoi ?
-  Ben oui, vu son QI, elle ne peut pas décemment être ma soeur.
-  Will !
-  Je rigole, tu sais bien que j’adore ma sœur … Bon alors, tu me le roules ce patin, oui ou non ?

Elle secoue la tête avec vigueur en esquissant une grimace.
Il lui cache sa déception derrière un sourire.

* * *

J- 2

Les derniers rayons de soleil commencent déjà à disparaître derrière les collines de Cimiez lorsque Mathilde rentre chez elle ce soir-là, les bras chargés de sacs et le regard absent. En jean et long pull vert olive, elle avance d’un pas rapide en prenant garde à ne pas marcher sur les lacets défaits de ses converses. Quelques mèches brunes, échappées du large serre-tête qui retient ses cheveux, tombent devant ses yeux avec souplesse.
Dans la lumière déclinante de ce début de soirée, les rues si familières de son quartier lui paraissent encore plus animées que d’habitude et elle sent son cœur se serrer lorsqu’elle croise ses voisins se promenant nonchalamment, les doigts entrelacés. Envahie par une nostalgie diffuse, la jeune femme leur adresse un petit sourire poli et les suit un instant du regard alors qu’ils s’éloignent.
Ce soir, alors que les petites sont chez leur grands-parents et que Diane est sortie avec des amis, Mathilde réalise avec stupeur qu’en quinze ans de mariage avec Laurent, et presque autant de cohabitation avec Florence et les enfants, elle n’a jamais vraiment passé une soirée toute seule. C’est idiot, mais elle est de celles qui sont passées du confort tiède de la maison familiale à une vie de couple où la solitude n’a plus vraiment de place. A l’époque, Mathilde avait souvent regretté de ne jamais pouvoir vivre à son rythme et se sentait lasse des sacrifices qu’exigeait la vie de famille. Elle rêvait de pouvoir se mettre au lit de bonne heure, avec un bon bouquin et juste un bol de céréales en guise de repas. Seulement ce soir l’idée de ce petit plaisir lui semble bien morose. La jeune femme ose à peine se l’avouer, peut-être un peu par fierté mais sans doute plutôt par lâcheté, mais le confort familier de sa vie d’avant lui manque atrocement. Elle regrette le désordre joyeux qui régnait dans sa maison, les portes qui claquaient sans arrêt, les grandes tablées faites de mille éclats de voix, et le grincement familier des balançoires.
Songeuse, elle marche vers chez elle en pensant au pari de la veille. Lutter contre son indécision chronique pendant deux jours, en serait-elle vraiment capable ? Perdue dans ses pensées, Mathilde remonte distraitement l’avenue et manque soudain de s’étaler en trébuchant sur un carton. Interdite, la jeune femme lève alors les yeux et aperçoit avec surprise un camion de déménagement stationné en plein milieu de la rue et une dizaine de cartons empilés sur le trottoir.
-  Grouille toi, s’exclame un type en bleu de travail assis au volant du camion, y’en a qui ont des femmes qui les attendent pour la popote j’te signale !
-  Eh, si tu m’aidais un peu aussi, tu s’rais plus vite à table, bougonne un autre en attrapant un des cartons à bout de bras.
Le conducteur descend alors lourdement de son véhicule et en saisit un deuxième en râlant.
-  Tu fais chier Roger, lance t-il à son collègue en s’engouffrant dans l’immeuble.
Curieuse, Mathilde profite de leur absence pour jeter un œil aux derniers meubles entassés à l’arrière de du véhicule. Un ficus géant, un lampadaire rafistolé, une jolie table en bois.
-  Un appartement de célibataire conclut-elle en ébauchant une grimace amusée.
Elle s’apprête à tourner les talons lorsque son regard est attiré par la présence imposante d’un piano à queue qui se dresse au beau milieu des cartons. Admirer ainsi cet instrument, abandonné avec une déconcertante désinvolture au bord d’un trottoir, lui paraît tellement décalée que Mathilde ne peut s’empêcher d’esquisser un sourire. Laissant tomber ses paquets sur le sol, elle s’approche du piano et l’ouvre avec délicatesse.  Après avoir vérifié qu’aucun passant ne faisait attention à elle, la jeune femme pose délicatement ses doigts sur le clavier avant de les retirer à la hâte et de se retourner brusquement, comme une petite fille sur le point de faire une bêtise. Ayant à nouveau constaté l’indifférence des gens, elle finit par oser laisser quelques notes s’échapper du piano. Ainsi, sans même qu’elle n’y prenne garde, ses mains virevolte déjà sans honte et elle entame les premières mesures d’un morceau de Bach avec une étonnante légèreté. Jouer du piano debout au milieu de la rue lui confère à la fois une certaine satisfaction et une étrange impression de liberté. Mais d’un seul coup, une musique un peu plus grave s’élève à son tour de l’instrument, faisant doucement écho à ses propres notes. Surprise, elle s’arrête net pour découvrir avec stupeur le profil de Maximilien, penché à côté d’elle, les yeux rivés sur le clavier.
-  Continuez, l’encourage t-il sans la regarder, continuez…
Sans réfléchir d’avantage, elle acquiesce d’un hochement de tête et reprend l’air du début. Devinant les mains de l’homme courir sur le clavier, elle prend un plaisir coupable à sentir son épaule danser tout contre la sienne. Pensant au delà du côté incongru de la situation, Mathilde considère avec une fierté non dissimulée qu’elle est entrain de vivre un moment délicieux.

Agréable et mélodieux.
Et puis mélancolique aussi.

Lorsque le morceau touche à sa fin, tous les deux restent un instant immobile, épaule contre épaule, à écouter les dernières notes s’évanouir dans le brouhaha de la rue. Une fois revenu à la réalité, Maximilien se tourne vers elle, un sourire éclairant son visage :
-  Je ne savais pas que vous saviez jouer du piano, dit-il en lui tendant la main.
-  Et moi je ne savais pas que vous me suiviez !
-  Vous devriez pourtant savoir que je suis partout où il y a une maison vide, un appartement vaquant, un déménagement ou, même, un emménagement tiens. Je ne sais plus qui m’a dit un jour que j’étais toujours prêt à me faire du fric…
-  Florence vous a dit que je serai chez moi vers six heures, n’est-ce pas ?
-  Il y a de ça, avoue t-il. Elle est passée à l’agence cet après-midi en m’assurant que vous aviez quelque chose d’important à me dire. J’étais bien trop curieux pour résister à l’envie de passer faire un tour dans votre quartier.
Elle sourit, ressentant un drôle de mélange de reconnaissance et d’agacement envers sa meilleure amie. Les paroles de Laurent résonnent dans sa tête alors qu’elle pense à un autre.

« Si j’essaye de changer, vous devez en faire autant ! Et toi la première, Mathilde. Tu vas devoir cesser d’être constamment indécise et nous prouver que tu es capable de prendre des décisions. Et de t’y tenir ! »

-  Bon, et ce fric alors ? demande t-elle avec un aplomb qui l’étonne elle-même.
-  Alors quoi ?
-  Eh bien, ce serait trop bête de ne pas le dépenser, non ?
-  Je ne vous le fais pas dire ! Qu’est-ce que vous diriez du dernier film avec Léonardo Dicaprio ?
-  Je refuse de passer deux heures avec Léonardo Dicaprio, rétorque t-elle.
C’est à son tour de sourire.
-  Dans ce cas, qu’est-ce que vous proposez ?
-  Il me semble, suggère t-elle avec malice, que vous m’aviez promis un dîner !
-  A moi, il me semble que c’était un café.
Elle fronce les sourcils et pose les mains sur ses hanches en esquissant une petite moue comique.
-  Vous croyez ? J’aurai pourtant juré qu’il s’agissait d’un dîner…
-  Ça, c’est parce que vous m’avez idéalisé !
-  Sans doute, dit-elle avec désinvolture.
-  Alors je passe vous prendre, demain soir à huit heures ?
-  Huit heures, s’exclame t-elle, mais c’est un peu tard pour un café !
-  Sauf si vous décidiez de ne pas dormir…
Elle se sent rougir et s’entend accepter avant d’avoir eu le temps d’y réfléchir.

* * *

La petite fille avance avec difficulté. Serrant sa poupée de chiffon tout contre sa poitrine, elle trébuche régulièrement et manque de tomber à plusieurs reprises. Le sable pénètre dans ses sandales, brûlant l’extrémité de ses pieds. Le soleil est au zénith et l’air n’arrive pas à dissiper l’espèce de sommeil qui pèse sur ce désert blanc et aride. Les rares arbres nus qui se dressent sur son chemin ne la rassurent pas et la fillette observe avec crainte les grains de sable qui tourbillonnent dans les airs autour des troncs sévères et s’entortillent dans les branches des buissons sauvages. Pourtant, elle persévère et avance, encore et encore. Elle pense à sa maman qui l’attend, là-bas, sans réussir à donner la vie et à son petit frère qui n’arrête pas de pleurer.
Et ça lui redonne un peu de courage.
Puis, tout à coup, sans prévenir, la peur revient et elle sent sa gorge s’assécher. Elle sait qu’elle aurait dû prendre de l’eau, mais elle est partie si vite qu’elle n’y a même pas pensé. L’angoisse est si forte maintenant que tout se met à bouger devant ses yeux et qu’elle est obligée de cligner plusieurs fois des paupières afin de reprendre ses esprits. Elle voudrait s’arrêter, s’allonger n’importe où, par terre, contre un coin de mur, les genoux repliés contre son ventre, pour retenir les coups de son cœur qui jettent des ondes à travers tout son corps. Alors, elle regarde vers le ciel bleu, les yeux grands ouverts, la bouche tremblant un peu, et elle se répète qu’elle y arrivera, qu’elle arrivera bientôt en ville et qu’elle sauvera sa maman et ce petit frère qui n’est pas encore né. Pourtant, malgré ses efforts, elle ne ressent aucun soulagement, plutôt un vide intense et insoutenable qui l’envahit lentement.

Il est près de midi et la lumière étincelle à travers ses cheveux noirs lorsque la petite fille s’écroule sur le sable.

-  Maman !
Du fond de sa rêverie anesthésiée, Florence a l’impression désagréable que ses membres, endoloris par le manque de sommeil, pèsent une tonne. Rompue de fatigue, elle gémit et camouffle son visage sous son oreiller
-  Maman, appelle encore la petite voix inquiète de Morgane, maman !
La jeune femme émet un borborygme inaudible et s’extrait hors de son lit avec difficulté; un rapide coup d’œil au réveil dont les chiffres fluorescents clignotent dans le noir lui indique qu’il est déjà presque minuit. Tout en nouant son peignoir, Florence traverse le couloir qui la mène à la chambre de sa fille d’un pas traînant. Au moment où elle tourne l’interrupteur de la chambre de Morgane, la lumière l’éblouit tellement qu’elle doit cligner plusieurs fois des paupières avant de pouvoir distinguer la silhouette frêle et tremblante de sa petite fille, recroquevillée sous ses couvertures.
-  Qu’est-ce qui se passe mon cœur, demande t-elle en s’asseyant à ses côtés, tu as encore fait un mauvais rêve ?
Morgane hoche la tête en sanglotant.
-  Il faisait chaud, explique t-elle d’une voix tremblante, il y avait du sable partout et puis la petite fille, elle est tombée… Oh, elle est morte maman j’en suis sûre…
Florence force un sourire et attire l’enfant contre sa poitrine.
-  Ce n’était qu’un cauchemar, dit-elle avec douceur en la berçant entre ses bras, tout va bien ma puce, maman est là maintenant.
Mais la petite fille se libère de l’emprise de sa mère et secoue la tête avec résolution. De grosses larmes roulent sur ses joues roses aux rondeurs enfantines.
-  Elle est morte maman, pour du vrai, il faut que papa la sauve tu sais, il faut qu’il la sauve tu comprends ? Elle est toute seule et elle a si peur …
-  Tu veux venir dormir avec moi ? Propose alors Florence à bout d’arguments.
-  Non, je veux papa.
Envahie par une bouffée de tendresse, Florence presse la main de la fillette dans la sienne et essuie ses larmes du bout des doigts.
-  Morgane, voyons, sois raisonnable.
-  Je veux mon papa ! Je veux mon papa ! Je veux mon papa !
Déroutée devant la violence de la réaction de sa fille et se sentant absolument incapable de la calmer, la jeune femme se lève dans un soupir résigné et se traîne jusqu’au téléphone où elle compose, les yeux fermés, un numéro familier.

* * *

-  Allô ?
-  Ouep.
-  Romain, c’est Diane, je te dérange ?
-  Nop.
-  Euh… ça va ?
-  Ouep. Toi ?
-  Oui, oui… Ouais… Hum, j’appelais jute pour te dire que demain j’ai demandé à ma mère et elle est d’accord donc si c’est toujours bon pour toi enfin ça me dirait bien qu’on aille au cinéma voilà.
-  Okééé, je préviens les autres alors.
-  Les autres ?
-  Ouep, ça plaisait aussi à Claire et Will. Ça t’embête pas qu’ils viennent ?
-  Du tout, du tout…
-  Cool, c’est à huit heures au Pathé Massena, à demain ma belle !
-  Oui, à demain.

* * *

Lorsque la petite fille se remet au lit et se rendort enfin ce soir-là, il est deux heures du matin passées. Après s’être assurés qu’elle dort profondément, Florence et Raphaël s’assoient face à face à la table de la cuisine pour partager une canette de bière.
-  Je suis désolée de t’avoir appelé au milieu de la nuit, s’excuse la jeune femme, mais je ne savais vraiment plus quoi faire. J’étais abrutie de fatigue et complètement désorientée, je ne pouvais penser à personne d’autre que toi pour arriver à calmer Morgane.
Raphaël hoche la tête et boit une gorgée de bière avant de répondre.
-  Ne t’en fais pas pour moi, de toute façon je reste debout jusqu’à l’aube ces temps-ci et la nuit il n’y a pas de circulation, ce n’est vraiment pas gênant. Parlons plutôt de Morgane. Elle fait souvent des crises comme ce soir ?
Florence acquiesce d’un signe de tête.
-  Souvent, c’est un euphémisme. En ce moment, c’est pratiquement chaque soir. Elle se réveille toutes les nuits et pique de véritables crises d’hystérie, elle tremble sans pouvoir s’arrêter. Et j’ai beau essayer de la consoler, elle continue de pleurer.
La jeune femme appuie la tête contre sa main et un long soupir s’échappe de sa poitrine.
-  Il n’y a rien à faire, déplore t-elle avec dépit.
-  Tu penses que c’est lié avec… mon départ ?
Florence boit le reste de sa bière puis contemple un moment son verre vide en laissant le silence s’installer.
-  J’en suis persuadée, avoue t-elle finalement, d’ailleurs ses rêves sont à ce point de vu assez étranges…
-  Qu’est-ce que tu veux dire ?
-  Eh bien, après s’être réveillée en hurlant, elle me parle de l’Afrique.
-  De l’Afrique ?
La jeune femme acquiesce en baissant à nouveau les yeux.
-  Elle voit toujours la même petite fille, une petite fille noire perdue dans le désert, et une fois éveillée, elle allume toutes les lumières de l’appartement et elle la cherche partout : dans les placards, dans l’armoire à chaussures, sous le lit, dans les tiroirs de la commode. J’ai beau lui dire que c’était un cauchemar, je n’arrive pas à la convaincre. Elle ne se calme et ne se rendort enfin que quand elle a cherché intégralement partout et qu’elle est sûre que la fillette n’est pas cachée dans la maison. Mais ça prend au moins une heure et moi je suis complètement réveillée et je ne peux plus me rendormir. J’ai un manque de sommeil chronique. Du coup, je ne tiens plus debout et je suis même incapable de bosser correctement. J’ai emmené Morgane chez le pédiatre, mais tout ce qu’il a fait c’est de lui donner une sorte de soporifique pour la calmer.
Raphaël plisse les paupières pour mieux regarder la jeune femme. Ses boucles blondes sont complètement éparpillées et emmêlées. Des mèches sont collées sur son front et de larges cernes gris se dessinent sous ses yeux.
-  Elle n’a pas eu une année facile, bredouille t-il, il faut sûrement lui laisser un peu de temps.
Florence hausse les épaules en signe d’impuissance.
-  Raphaël, demande-t-elle d’une toute petite voix, promets moi que tu ne partiras pas sans lui dire au revoir cette fois.
Lui secoue la tête et dit d’une voix sourde:
-  J’ai passé l’âge de m’inventer des mots d’absence.

* * *

J-1

Ils se sont installés à une table tout près de celle du couple qu’elle a croisé la veille en remontant l’avenue. Seulement cette fois, le petit signe que Mathilde adresse à la jeune femme n’a plus rien de surfait. Elle regarde l’homme assis en face d’elle, celui-là même qu’elle ne connaissait pas il y a quelques semaines à peine et qui lui semble déjà étrangement familier. Il y a des rencontres comme ça qui font que tout s’adoucit autour de vous. Le temps, les choses, les gens.

…Something in the air…

Il s’appelle Maximilien, mais déteste son prénom et la supplie de l’appeler Max, ce qui la fait sourire. Il a trente-cinq ans, les cheveux noirs, le regard sombre et une barbe de trois jours qui lui donnent un look négligé. Il porte un jean un peu délavé, un sweat-shirt blanc et des converses en cuirs. Il est Lyonnais et vient tout juste d’emménager sur la Côte, il ne supporte pas son collaborateur, rêverait de monter sa propre affaire et a commandé une bouteille de rosé délicieuse. Il lui dit qu’il aime sa façon de jouer du piano, qu’elle a une sensibilité de musicienne et qu’il adore la façon qu’elle a de plisser les paupières quand elle est concentrée. Elle dodeline de la tête en buvant une nouvelle gorgée de vin. Il lui demande de parler d’elle. Elle raconte la maison qu’elle a peur de quitter, les collines lilas qui tremblent dans la chaleur et le ciel bleu indigo des soirées en provence. Elle parle un peu trop des filles et en oublie Laurent, raconte qu’elle a adoré Babel et que le disque de Charlotte Gainsbourg est un petit bijou. Pendant le dîner, le soleil bascule derrière les collines de Cimiez et disparaît doucement.
-  C’est vrai qu’un dîner en votre compagnie est bien plus agréable qu’un simple café, dit-il en souriant du regard.
-  Sans doute, mais j’avais peur que ça ait l’air d’un traquenard !
-  Ça m’évitera d’avoir à en inventer un…
Le serveur allume quelques bougies. La lumière rend les choses irréelles. Derrière eux, le couple de voisins s’engueule.
-  Vous croyez qu’ils vont rompre ? demande soudain Mathilde, un petit sourire aux lèvres.
-  Je vous demande pardon ?
Elle se penche au-dessus de la table et murmure à l’oreille de Max :
-  J’ai croisé le mec hier après-midi au cinéma et il était accompagné. Et je peux vous garantir que ce n’était pas par elle !
Il secoue la tête :
-  C’était peut-être sa sœur ?
-  Oh, allez !
-  Quoi ? C’est possible !
-  Elle était asiatique.
-  On l’aurait adopté ?
Elle adopte une petite moue dubitative.
-  Je vous parait naïf ? demande t-il en lui resservant du vin.
-  Noooon !
-  Si, si, vous pouvez le dire !
-  Pas naïf, corrige t-elle dans un sourire, confiant.
-  C’est un euphémisme !
-  Peut-être, mais c’est plus joli, conclut-elle avec malice.
-  C’est ça, et les deux boules qui me pendent entre les jambes, c’est pas des couilles mais des testicules !
-  Vous êtes fin, vous ! s’exclame t-elle en riant.
Un ange passe.
-  Et moi, je vous parait cynique ? demande t-elle en plongeant son regard dans le sien.
D’une main, il écrase les miettes de pains répandues sur la table.
-  Non, dévastée, répond t-il soudain grave.
Elle hausse les épaules.
-  Ça aussi, c’est un euphémisme, murmure t-elle avant de finir son verre.
-  Vous n’y croyez plus alors ?
-  A quoi ? Aux rencontres impromptues qui se transforment en belles histoires ? Au prince charmant ? A la moitié d’orange ? A l’amour toujours ?
-  A tout ça, oui.
-  J’évite…
-  Pourquoi ?
-  Je me protège, c’est tout.
-  Et ça vous rend heureuse ?
-  Oh, je ne suis plus aussi exigeante ! Mais ce soir, ce soir je suis bien. Et ça, c’est déjà inespéré…

* * *

-  Oh non, s’amuse Claire, je parie qu’elle n’est même jamais sortie avec un mec !
-  A notre âge ? s’étonne Romain, impossible ! Même Madeleine Martin a déjà eu son grand moment. Et pourtant, c’est la plus moche de l’école
Alors que Diane se renfrogne dans son fauteuil, Claire explose de rire.
-  Et avec quel thon, elle a bien pu échanger ses microbes cette fayotte ?
-  Avec celui dont l’immonde coupe de cheveux et la démarche légendaire l’ont rendu le mec le plus populaire de l’école…
-  Attends, attends… Ne me dis pas que tu parles de celui à qui je pense ?
-  Si exactement, de Pierre-Henri !
-  Oh non, s’exclame Claire entre deux hoquets, c’est dégoûtant !
-  Vous êtes atroces, grommelle Diane entre ces dents.
-  Oh ça va, soupire son amie en prenant une nouvelle poignée de pop-corn dans le sachet posé sur les genoux de Romain, fait pas ta rabat-joie, on rigole !
-  Ah oui ? Eh bien c’est loin d’être drôle.
-  Oh lala, regardez qui voilà: mère Teresa !
-  Elle a raison, renchérit Will assit deux sièges plus loin, les genoux recroquevillés sous son menton, c’est pas très sympa quand même…
-  Et maintenant, se moque Romain, le retour de l’abbé Pierre !
-  Il est mort abrutis, murmure Diane alors que les lumières de la salle de cinéma s’éteignent progressivement.
Bien décidée à s’esquiver dès que la salle sera plongée dans le noir, Diane mord l’intérieur de ses joues le plus fort possible pour s’empêcher de pleurer et essuie  avec rage le bord de ses paupières brûlantes d’un revers de manche. Alors c’est bien ça, le collège: des mecs stupides qui se marrent grassement dès qu’on sert des saucisses à la cantine, des films débiles qu’on a même pas envie d’aller voir et une soit disant meilleure amie qui se transforme en harpie dès qu’un garçon s’approche à moins de cent mètres ?
Les acteurs échangent leurs premières répliques et la jeune fille se lève déjà, le plus doucement possible, avant de se diriger sur la pointe des pieds vers la sortie. Alors qu’elle pousse la double porte d’un geste de la main, des bruits de pas derrière elle l’oblige à se glisser dehors à toute allure. La personne marche à grandes enjambées et Diane sait d’avance qu’elle ne pourra rien faire pour lui échapper. Elle peut presque sentir son souffle dans son dos maintenant. Tout autour d’elle devient flou et un voile humide mouille ses yeux.
Et voilà, elle pleure.
Une ondulation douloureuse lui serre la poitrine et le souffle lui manque.
Quelques secondes plus tard, alors qu’elle a déjà fait quelques pas dans la rue déserte, Will la rattrape par le bras.
-  Eh, s’exclame t-il en l’obligeant à se retourner vers lui, tu peux m’expliquer pourquoi tu t’enfuies, c’est une de tes spécialités ou quoi ?
-  Quoi ? demande t-elle sans comprendre.
-  La première fois qu’on a fait une répétition avec le groupe, tu es partie en courant à la seconde où tu as eu fini de jouer ! Tu ne peux pas t’enfuir dès que quelque chose ne va pas, Diane. Parfois, il faut savoir faire preuve d’un peu de courage…
-  Je suis désolée, dit-elle brièvement, mais je n’ai pas pu m’en empêcher. Je les déteste tant tous les deux, tu peux comprendre ça ? Ils sont… Ils sont… Ils sont tellement….
-  Enervants ?
-  Pire !
-  Agaçants ?
-  Pire encore !
-  Hum, monstrueux ?
-  Oui, voilà !
Elle sourit entre ses larmes.
-  Pourquoi est-ce que Claire est obligée de changer comme ça dès que Romain l’approche ? Je croyais vraiment que ce soir…
Incapable de terminer sa phrase, elle s’apprête à tourner à nouveau les talons quand, une fois encore, William l’en empêche.
-  Que ce soir ?
Elle hausse vaguement les épaules.
-  Non rien, renifle t-elle, c’est trop stupide.
-  Dis !
-  Eh ben, tu sais bien…
Il esquisse un léger sourire qu’il dépose doucement sur ses lèvres avec un tendre empressement. Lorsqu’il éloigne son visage du sien, elle sent ses joues s’empourprer et baisse précipitamment les yeux. Lui évite soigneusement de croiser son regard alors qu’elle se demande pourquoi la température vient subitement d’augmenter d’au moins dix degrés.
-  Désolé, murmure t-il, je n’ai pas pu m’en empêcher…
Elle voudrait bien lui répondre quelque chose de cohérent mais elle est même incapable d’ouvrir la bouche. Interdite, elle ferme les yeux alors qu’il entremêle ses doigts entre les siens, sourit à nouveau et lui demande :
-  Je vous raccompagne mademoiselle ?

* * *

-  Alors, fille mignonne dans ton horizon ? demande Raphaël.
-  Ouais, à dix heures… non, onze heures… midi maintenant… attends, une heure… Bon, je sais pas, elle n’arrête pas de bouger !
Raphaël se retourne pour considérer la jeune femme dont Laurent lui parle en rougissant. Un sourire fugace passe sur son visage.
-  Elle ?
-  Ben, oui.
-  Tu as raison, concède Raphaël, viser le bas évite bien des déceptions !
-  Tu ne la trouves pas bien ?
-  Elle est affreuse, Laurent.
-  Bah, dit celui-ci en haussant les épaules en signe d’impuissance, de toute façon elles me paraissent toutes moches comparées à…
-  Oui, je sais Mathilde. Arrête ça, tu veux ?
-  Je suis désolé, je pourrai parler d’elle pendant des heures.
-  Hé, pourquoi tu utilises le conditionnel, là ?
Laurent s’excuse en bredouillant et Raphaël lui ressert un verre de vin.
-  Allez, y’a rien de mieux que de provoquer un peu jalousie pour la récupérer ta Mathilde.
-  Je vais la récupérer, tu crois ?
-  Oh mais oui ! Vous êtes Laurent et Mathilde. L’un sans l’autre, c’est impensable ! Ce serait, je ne sais pas…. Comme… Comme du pain sans la mie !
-  Comme un ciné sans pop-corn.
-  Comme un bain sans canard de bain.
-  Comme une semaine sans Desperate Housewives.
-  Quoi ?!
-  Nan, rien, oublie ça !
Ils éclatent de rire.
-  Ecoute, reprend Laurent en s’essuyant les yeux avec une serviette en papier, je suis incapable de draguer pour l’instant. Peut-être dans un deuxième temps. Mais là, je n’arrive pas à me la sortir de la tête, c’est comme ça. Si je dois prouver que je peux agir, ce sera avec elle et personne d’autre. Je refuse d’oublier son empreinte dans ma vie et de tout balayer en un revers de manche. Oh crois moi, je vais savoir agir cette fois !
-  Je t’en prie, acquiesce Raphaël en levant son verre à son tour, moi j’ai des responsabilités à aller assumer !

Une fois dehors, Laurent met plusieurs secondes avant de se défaire du brouhaha du bar qui résonne encore dans sa tête. Marchant d’un pas résolu vers sa voiture, il croise les bras contre sa poitrine pour se protéger du froid qui balaie les rues de Nice. Un quart d’heure plus tard, il coupe le moteur du 4X4 devant chez Mathilde. Mais, alors qu’il s’apprête à ouvrir la portière, son regard se pose avec stupeur sur un couple enlacé sous le porche de cette maison qui était la leur.
Les instants suivants flottent et fondent dans la tiédeur d’un malaise indéfinissable. Laurent observe avec impuissance toutes ses certitudes s’effilocher sans fin; un inconnu enlace cette femme qui lui échappe et c’est toute sa vie qui s’écroule en un regard. Le front contre la vitre, il se laisse envahir par une violente nausée. Au loin, des éclairs silencieux font de grandes zébrures blanches et le roulement diffus du tonnerre semble obscurcir le ciel. Plongeant sa main au fond de la poche de son jean, il attrape son téléphone portable dans un geste désespéré et compose le numéro de Mathilde sans bien savoir pourquoi.
-  Allô ? interroge la voix familière et légère de la jeune femme après quelques sonneries.
Aussitôt, il raccroche l’appareil avec un tremblement d’angoisse dans la poitrine. Laurent met une seconde encore à se ressaisir, le téléphone serré dans sa main, puis il appuie sur l’accélérateur et démarre en trombe dans un état de demi inconscience.

* * *

Assise à son petit bureau, son chat couché à ses pieds, son cahier ouvert devant elle, Diane s’efforce de pénétrer la signification de ce stupide problème d’algèbre qu’elle n’a toujours pas réussi à boucler. Incapable de se concentrer d’avantage, elle finit par renoncer à résoudre ces équations absurdes et décide de téléphoner à Lola, la première de la classe, pour avoir la solution. Celle-ci lui dicte les réponses sans poser de questions. En raccrochant, la jeune fille se sent soulagée. Une fois le devoir torché et ses livres rangés, Diane reste un moment sans bouger comme si elle ne parvenait pas à prendre une décision. Songeuse, elle hésite à appeler Will, puisqu’elle est presque certaine qu’il ne doit pas encore dormir à cette heure-ci. Mais pour lui dire quoi ? Qu’elle n’arrête pas de penser à lui ? Non, ça n’aurait aucun de sens. Elle se sentirait simplement stupide et lui ne la comprendrait pas. Tout, pour lui, semblait toujours si simple, si facile. Tandis que pour elle, tout était prétexte à questions, à souffrances, à révoltes, à rêveries. Alors qu’elle se lève pour aller se brosser les dents, elle jette un coup d’oeil distrait à travers la fenêtre du couloir. Et là, sous le porche, elle aperçoit avec effroi la silhouette de sa mère glisser dans les bras d’un homme qui n’est pas son père. Elle voit la main de l’inconnu courir le long du dos de Mathilde et tire brusquement les rideaux en arborant une petite moue dégoûtée. Interdite, elle reste un moment immobile sans oser esquisser le moindre geste.
A peine est-elle retournée à son bureau que la porte de sa chambre s’ouvre sur la silhouette fine et droite de sa mère.
-  Tu es encore debout ?
-  Je vais me coucher tout de suite, s’exclame Diane en se levant d’un bond.
-  Non, non, dit la jeune femme en s’asseyant sur le lit, viens plutôt t’asseoir à côté de moi.
Mathilde porte une robe imprimée à fleurs blanches et roses, très serrée à la taille. Son visage rayonne de gaîté et d’entrain. Diane s’assoit à son tour au bord du lit et se raidit lorsque sa mère prend sa main dans la sienne.
-  Tu sais, explique Mathilde d’une voix douce, depuis le départ de Flo et de papa, c’est bien trop grand pour nous quatre ici. On a tous bien réfléchi et on pense qu’il serait plus raisonnable de vendre la maison.
D’abord interloquée, la jeune fille médite l’information une seconde et murmure :
-  C’est ça que tu voulais me dire ?
-  Oui, pourquoi ?
Diane secoue la tête dans un mouvement de défi.
-  Je n’ai aucune envie de changer de maison, dit-elle brièvement.
-  Moi non plus, réplique Mathilde. Seulement, parfois, il faut grandir et savoir prendre certaines décisions qui s’imposent. Ecoute, papa et moi pensons qu’il vaut mieux investir notre argent dans quelque chose de plus utile qu’une maison où trois chambres sont vides, tu comprends ?
Brusquement, Diane ne peut plus supporter cette association de mots: « Papa et moi ». Ne sont-ils pas séparés ? Si sa mère se permet d’embrasser des inconnus sous le porche de leur maison, de quel droit se protège t-elle encore derrière l’ombre rassurante de Laurent ? C’est bien trop facile, trop arrangeant ! Et puis Diane se fiche pas mal que ça soit raisonnable ou non, il s’agit de ses souvenirs, il est question de la maison où elle a passé toute son enfance et elle refuse d’abandonner ce dernier point de repère.
-  Si tu veux déménager, vas-y: j’en ai plus rien à faire ! De toute façon je préfère habiter avec papa !
L’adolescente prononce ces mots avec la violence d’une accusation et voit vaciller le regard de sa mère. Alors qu’elle s’attend à la voir s’emporter avec fureur, celle-ci semble se contenir. Assise sur son lit, le dos raide et les mains moites, la jeune femme se contente de baisser les yeux.
-  Tu penses vraiment ce que tu dis ? demande Mathilde d’une voix sourde.
La jeune fille hoche la tête avec conviction en évitant soigneusement le regard de sa mère. Elle souffre tant de la voir aussi insouciante alors qu’un tel drame est sur le point de se produire, que les moindres gestes, les moindres mots de cette femme injustement heureuse l’écorche profondément.
-  Tu es bien certaine que ce déménagement est le seul reproche que tu ais à me faire ? l’interroge sa mère avec inquiétude.
Diane hausse vaguement les épaules.
-  Je n’ai rien à te dire, balbutie t-elle.
Et soudain, en une bravade désespérée, elle s’écrie:
-  C’est plutôt toi qui aurait des choses à me dire !
-  Quelles choses ?
-  Raconte-moi ta rencontre avec papa, si tu t’en souviens encore !
-  Pourquoi es-tu si agressive tout à coup ?
-  Tu vois, rugit Diane, tu n’es même plus capable de raconter ! Tu as oublié papa, tu as oublié Florence, tu as tout oublié de notre bonheur. Tout ! Je ne peux plus supporter de te voir aussi heureuse, ça me dégoûte, c’est trop injuste !
Mathilde ne répond pas. Sous les coups de butoir de sa fille, ses traits se décomposent. Dénudée, elle suffoque de honte et de tristesse. Un flot de larmes agrandit ses yeux. A cette vue, Diane éprouve un élan de pitié qui la fait pleurer elle-même. Mais, à travers ce chagrin, cette tendresse, elle sent le besoin de frapper encore. Elle regarde Mathilde et remarque les larmes qui brillent dans ses yeux avec un mélange de stupeur et de fierté; dans cette robe rose, sa mère lui parait encore plus démunie, plus vulnérable, incapable de faire front. Diane poursuit d’une voix haletante:
-  Comment peux-tu vouloir coucher avec un autre homme après avoir couché avec papa ?
Mathilde relève la tête dans un pauvre effort de dignité:
-  Tu n’as pas le droit de me poser cette question, dit-elle, tu es trop jeune pour comprendre !
-  Je ne suis pas trop jeune, je t’ai vu embrasser Maximilien !
-  Ah, c’est donc ça, soupire Mathilde avec un demi-sourire.
-  Papa t’aime tellement maman, comme un fou. Et toi aussi tu l’as aimé. Ou tu as fait semblant. Et voilà, il n’en reste rien et la vie continue. Avec un autre homme ! Tu ranges les photos dans des cartons, on déménage et on laisse tout derrière nous. C’est trop horrible, je ne veux pas grandir, je ne veux rien savoir de tout ça ! Moi je veux aimer, aimer pour la vie. Pourquoi tout est toujours si compliqué ?
Un sanglot brise les épaules de la jeune fille. Après un moment de stupeur, Mathilde ouvre les bras. Diane se jette contre elle. Enfouie dans la chaleur, dans l’odeur de sa mère, celle-ci perd soudain la notion du temps. Une main souple caresse ses cheveux, sa nuque. Une voix douce parle au milieu de son chagrin d’enfant:
-  Calme-toi ma Dianette, calme-toi…
Diane avait mille fois demandé à ses parents de ne plus l’appeler ainsi; à presque quinze ans, l’usage de ce surnom lui semble vraiment ridicule. Pourtant, cette fois, d’une manière absolument imprévisible, elle en est ébranlée jusqu’au ventre. Sa dureté fond, ses nerfs se relâchent; d’un seul coup, elle a de nouveau sept ans.
Après un instant de silence, Mathilde reprend doucement:
-  Je n’ai pas oublié ton père, tu sais, et je ne l’oublierai jamais, quoi qu’il arrive. Seulement, comme pour une maison qui ne nous correspond plus, il faut parfois prendre des décisions. Alors, oui, c’est vrai: la vie continue, mais ce n’est pas horrible, bien au contraire !
La jeune femme s’anime en parlant. Comme si elle avait quelque chose à se faire pardonner.
-  Je viens à peine de rencontrer cet homme et ce n’est pas la peine de tirer des plans sur les comètes ! Mais je me sens bien avec lui, et tu n’as pas le droit de m’en vouloir pour ça.
-  Alors tu n’es plus malheureuse ?
-  Je l’ai été, horriblement. Mais maintenant j’ai envie d’avancer, tu comprends ?
Liée et bercée dans les bras de sa mère, Diane ravale ses larmes et marmonne:
-  Et j’ai quand même le droit de t’en vouloir parce qu’on déménage ?
Mathilde sourit avec une tristesse contrôlée en secouant la tête.

* * *

A quelques mètres de là, une petite fille s’endort le pouce au bord des lèvres, bercée par la voix de son père. Les yeux à mi-clos, elle rêve déjà de toutes les villes du monde où elle se perdra un jour en lui tenant la main.

«  Oh ! Tu n’es qu’un sot, répond Mbambi. Tu ne dois rien faire de tout cela car autrement, tu perdrais tes paroles et tu montrerais que tu es un ignorant. Ne sais-tu pas, mon cher crocodile, que les canards vivent dans l’eau et pondent des œufs et que les tortues en font de même. Moi aussi, d’ailleurs, je ponds des œufs, tout comme les poules. Et toi, mon stupide ami, que fais-tu donc ? Nous sommes donc tous frères dans un certain sens. C’est pour cette raison que les crocodiles ne mangent pas les poules. »

Dès lors qu’il est certain que la fillette dort à poing fermé, Raphaël dépose délicatement le livre de contes africains au pied du lit et embrasse Morgane sur le front.
- A bientôt mon trésor, murmure t-il doucement.
Adossée contre l’embrasure de la porte, une jeune femme aux boucles blondes leur envoie un baiser sans retenir le profond soupir qui s’échappe de sa poitrine.
Quelques secondes plus tard, Raphaël lui emboîte le pas jusqu’au salon.
-  Merci d’être passé, tu ne sais pas ce que ça représente pour elle.
Après un petit silence, Florence ajoute:
-  Et pour moi.
-  Pour toi ? demande t-il en feignant l’étonnement.
Elle acquiesce en détournant le visage.
-  Tu m’as manqué, avoue t-elle doucement. Pas dans le genre « je te pardonne » ou quoi que ce soit… Simplement tu m’as manqué. Et tu le sais en plus, ajoute t-elle brièvement.
Alors qu’elle lève les yeux vers lui, il l’attire entre ses bras, dans un geste à la fois naturel et précipité. D’emblée, il l’embrasse en cherchant sa bouche comme un affamé. Prise dans un tourbillon, Florence comprend avec bonheur qu’il lui est encore possible d’exister en dehors de ses enfants. L’entraînant dans la chambre, il la déshabille et se déshabille dans un silence tendre. Malgré sa hâte, il la caresse longuement, attentif au désir de la jeune femme. Des mains légères courent sur ses seins qui se dressent sous la caresse, entre ses cuisses qui s’ouvrent craintivement, avidement. Couchée sous lui, elle subit le mouvement cadencé de son corps avec un mélange de remords et de jubilation. Finalement, elle décide de se laisser aller, la tête folle, à la vague déferlante de plaisir.
-  Tu as progressé, lui glisse t-elle au creux de l’oreille.
-  Normal, répond t-il avec malice, je me suis abonné à Cosmo. D’ailleurs, ce que je vais te faire maintenant vient tout droit du numéro de décembre !
Alors qu’il s’apprête à l’enlacer encore, Florence se glisse hors de ses bras avec agilité et lui dépose un baiser sur le bout du nez.
-  Ah non, tout à l’heure, s’exclame t-elle en riant, je suis affamée moi !
Au même instant, un coup de sonnette la fait sursauter. Ils se regardent. Inquiète, Flo enfile le caleçon de Raphaël, boutonne sommairement sa chemise roulée en boule au bord du lit et  se précipite à la porte qu’elle ouvre prudemment.
Devant elle, se tient Laurent, un pauvre sourire aux lèvres. L’étonnement la paralyse une seconde puis elle le prend par le bras et le fait entrer. Raphaël, le drap rose pâle de Florence négligemment enroulé autour de sa taille, apparaît à son tour dans le séjour. Confus et ébouriffé, il invite Laurent à entrer d’un geste de la main. Laurent semble aussi embarrassé que lui. Florence les considère l’un et l’autre sans bien savoir quelle contenance prendre.
-  Je te dérange, dit Laurent en se tournant vers elle.
-  Pas du tout, assure t-elle en lui prenant la main, Raphaël est juste monté en passant…
-  J’aurai dû prévenir.
-  Mais non, pourquoi, tu as dîné ?
-  Oui, oui… J’étais passé chez Mathilde… seulement elle… elle…
-  Elle ?
-  Elle n’était pas seule, voilà. J’avais la tête à l’envers alors j’ai pensé à toi. Je vais vous laisser.
-  Non, reste, dit-elle avec une tendre autorité, on va prendre un verre.
Il s’assoit entre eux deux sur le canapé avec l’air d’un mendiant honteux.
-  Alors, tente maladroitement Raphaël en forçant un sourire, où est passé Laurent l’aventurier ?
-  Tu veux vraiment savoir ? demande Laurent, soudain grave.
Raphaël hoche la tête sans réussir à cacher son étonnement.
-  C’est pas celui qui va draguer dans des bars, c’est pas non plus celui qui se bat pour récupérer la femme de sa vie…. non, c’est juste celui qui part avec toi à l’autre bout du monde.

* * * * * * *

« Cher journal,
Il y a trois jours encore, j’aurai tout donné pour m’envoler à l’autre bout du monde, moi aussi… Seulement maintenant, je sais que je suis exactement là où je dois être. Parfois, il faut juste être un peu patiente et se laisser le temps de grandir, de changer. Aujourd’hui, j’ai compris que le bonheur, ce n’est pas de vivre une petite vie sans embrouille, sans faire d’erreur ni bouger. Le bonheur, c’est d’accepter la peur, l’effort, le doute… et surtout d’avancer, en franchissant chacun des obstacles qui se dresse sur le chemin. Un par un.
Finalement, l’autre bout de mon monde n’est peut-être pas si loin.
D’ailleurs, les filles, maman et moi, on va visiter des appartements cet après-midi. Je ne sais pas si ça marque le commencement d’une nouvelle vie mais ça prouve que j’ai grandi, ça j’en suis certaine. »

Des bruits de pas dans le couloir ramènent Diane à la réalité et elle ferme son petit cahier d’un coup sec en entendant la porte de sa chambre s’ouvrir. Lorsqu’elle lève les yeux, c’est le sourire de sa mère qu’elle aperçoit dans l’embrasure.
-  Tu es prête ma chérie ?
La jeune fille acquiesce d’un signe de tête et un sourire discret se dessine à la commissure de ses lèvres.

* * *